Actualités
Actualités
Eurêka, Guide Livres
La règle du jeu ou comment le suicide de milliards de nos cellules conditionne notre survie, et peut-être, demain, de nouvelles victoires contre la mort, notamment contre le cancer.
Il est question d’Alice de l’autre côté du miroir, d’Ulysse et de Pénélope et du chant des sirènes, d’Adam et Eve dans le jardin d’Éden, et de l’idéogramme chinois qui signifie "moi". Il est question du jeu compliqué que la vie joue avec la mort depuis que le monde a commencé à être monde, de l’infiniment petit niché au sein de notre corps à l’infiniment grand de l’Univers. Et l’on pénètre dans ce vaste mystère à pas légers, comme dans une forêt épaisse dont l’auteur nous ouvre les chemins, à petites touches poétiques, et néanmoins rigoureusement scientifiques. Jean Claude Ameisen, médecin et biologiste, est aussi un écrivain qui sait prendre son temps, pour raconter comment le "suicide cellulaire", ou apoptose, qui entre en œuvre dès que la vie apparaît, est devenu depuis quinze ans l’enjeu d’une quête mondiale, d’une course contre la mort et le vieillissement des hommes.
Le suicide cellulaire, tout au long de la vie
On sait depuis longtemps, explique-t-il, que la mort entame son travail de "sculpture du vivant" dès que l’embryon se niche dans le corps de sa mère, effaçant par exemple l’appendice caudal légué par de lointains ancêtres. C’est la "mort programmée" inscrite dans nos cellules, qui, grâce à l’interaction des gènes et des protéines, provoque le "suicide" de millions d’entre elles, et régule au sein de notre corps ce qui s’apparente à de véritables "rites funéraires". Puis l’on a découvert que le suicide cellulaire ne s’arrêtait pas à l’embryon, mais se poursuivait tout au long de la vie : chaque jour, plus de cent milliards de nos cellules s’autodétruisent, faisant disparaître en nous jusqu’à un kilo de la matière dont est constituée notre corps.
La réalité plus étrange que la fiction...
Restait à comprendre la règle du jeu, et aussi la nature de ses dérèglements, quand la destruction l’emporte sur la vie, que les lymphocytes T du système immunitaire disparaissent après l’intrusion du virus du sida, ou, à l’inverse, quand le suicide cellulaire se bloque, et que les cellules cancéreuses prolifèrent et voyagent. Cette "nouvelle frontière" de la médecine, ce paradigme révélé petit à petit, comme le contour blanc des Terra incognita sur les cartes maritimes d’autrefois, Jean Claude Ameisen le décrit à merveille. Mais il sait aussi montrer combien ce combat d’aujourd’hui éclaire la genèse de nos origines, il y a 3,5 milliards d’années. Et comme "la réalité est plus étrange que la fiction", selon l’une des citations dont il émaille avec bonheur son récit, la science sait parfois raconter de belles et vertigineuses histoires, à lire et à relire.
Irène Bérélowitch
1 octobre 1999