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"Vivre, pour chaque cellule qui compose notre corps, c'est à chaque instant avoir réussi à réprimer le déclenchement de son suicide [...]. Au cœur de chaque cellule, la mort est enfouie, tapie, prête à bondir." C'est ainsi que Jean-Claude Ameisen définit cette "mort créatrice" qui, selon lui, nous construit. Depuis quelque temps, déjà, on parlait de mort naturelle programmée : sans accident, sans maladie, sans modes de vie "usants", les fonctions du corps humain s'éteignent d'elles-mêmes au bout d'environ cent-vingt ans... Mais la thèse de Jean-Claude Ameisen va plus loin : la mort est le principe même du vivant. C'est parce que des centaines de milliers de cellules meurent que la vie s'élabore et cela dès le stade embryonnaire. Alors même que le corps grandit, des pans entiers de son être disparaissent. Mieux : ces disparitions massives constituent la condition même de la complexité de notre organisme. C'est le cas, par exemple, de l'apparition des doigts : notre main naît d'abord sous la forme d'une moufle contenant cinq branches de cartilage, qui vont progressivement constituer les doigts séparés grâce à l'élimination des cellules qui les reliaient. La mort sculpte le vivant. Cela suffira-t-il pour nous réconcilier avec elle?
Ariane Poulantzas
2 octobre 1999