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Revue française de psychosomatique n°23 - PUF
La sculpture du vivant
Le suicide cellulaire ou la mort créatrice
de Jean-Claude Ameisen
En fin de volume, en introduction à la bibliographie, l'auteur indique qu'il a tenté de «présenter et de discuter dans un langage délibérément simple et dépourvu de termes techniques, des concepts, des résultats et des approches expérimentales d'une grande complexité, des relations qui peuvent exister entre des domaines très spécialisés et à première vue très différents, de la biologie et de la médecine». Placée en préambule à la lecture de l'ouvrage, une adresse aussi modeste aurait exposé le lecteur à un saisissement que rien ne lui aurait laissé prévoir. Dès les premières pages en effet, on se trouve plongé dans un ouvrage qui tient autant d'un thriller moléculaire que de la meilleure littérature fantastique, d'une veine philosophique et poétique incomparable, celle qui nous fait rêver et réfléchir. Ainsi, le discours savant s'efface-t-il au profit d'un sentiment de familiarité face aux expériences, aux découvertes et aux résultats les plus pointus de la biologie de ces dix dernières années. Allant d'étonne ment en étonnement, on remarquera que les phrases mises en exergue aux chapitres et sous-chapitres appartiennent plus souvent aux poètes, aux philosophes, aux écrivains qu'aux scientifiques, annonçant et condensant très précisément ce que l'auteur mettra un chapitre entier à nous faire entendre par les chemins de la rationalité.
DU BON USAGE DES MÉTAPHORES
Telle une mise en abîme, la construction même du livre, à l'image du buisson du vivant, croît du plus élémentaire des constituants unicellulaires, jusqu'à l'arborescence multicellulaire la plus complexe et la plus diversifiée, comparable à la canopée tropicale au sommet de laquelle émergeraient les incarnations de l'espèce humaine (cellulaire, individuelle et sociétale), et de toutes les formes actuelles du monde animal et végétal, «terrasse» du haut de laquelle s'offre au regard une perspective infinie en plongée. Il reste néanmoins accessible aux profanes par la liai son constante qu'exerce l'auteur avec les affects et l'imagination du lecteur et du fait de la richesse et de la diversité des variantes métaphoriques qu'il propose, au-delà du modèle «local» et de ses limites, pour un élargissement du champ de la pensée vers le monde sensible de l'imagination créatrice.
L'ÉVOLUTION N'EST PAS UN LONG FLEUVE TRANQUILLE...
L'immensité temporelle à travers laquelle ces événements se déroulent (quatre milliards d'années) pourrait laisser imaginer un écoulement majestueux, lent et régulier des complexifications successives du vivant depuis l'apparition des premières bactéries. Or, la fréquence lexicale dans le texte, des termes : brutal, brutaux, brutalité, brutalement, ― de une à quatre apparitions dans de nombreuses pages ― pour spécifier la façon dont un changement s'est opéré, est là pour nous ôter cette illu sion. Renvoyant dos à dos les deux courants de pensée dits «gradualiste» ― entre les tenants d'un continuum évolutif par sélection des formes effi caces les mieux adaptées pour survivre et transmettre leurs gènes ― et «ponctualiste» ― les tenants d'une évolution procédant par bonds ―, au profit d'une intrication et d'un enlacement permanents des deux modèles évolutifs, J.-C. Ameisen bouscule au passage nombre de théories et d'idées tenues pour acquises devenues des idées reçues, enfin muées en dogmes faisant souvent obstacle à l'imagination d'autres scénarios sur une autre scène. Aussi l'auteur nous convie-t-il à des «expériences en pensée» qui, remettant au travail des idées pourtant bien établies, procèdent par retournement de la question selon des procédures que ne désavouerait pas Conan Doyle... Décryptant la fréquence et les raisons pour lesquelles nombre de résultats déjà présents de longue date étaient laissés de côté ou oubliés, ininterprétables faute de pouvoir en déchiffrer le sens, réponses prématurées à une question qui n'avait pas encore été posée, il illustre aussi magnifiquement la façon dont procède l'esprit scientifique et dont les découvertes ― bien souvent des redécouvertes ― en latence cheminent dans la discontinuité et la pensée associative tout autant que dans la logique.
UNE APPROCHE INTIMISTE
Ce n'est pas la moindre des originalités, ni le moindre des mérites de La sculpture du vivant que de nous rendre des organismes uni- ou multi-cellulaires des modèles expérimentaux aussi proches que des animaux de compagnie en personnalisant bactéries, gènes et protéines désignées par leur nom de code qui résonne de manière étrangement intime, de mettre en scène et dramatiser les stratégies stupéfiantes de l'adaptation et les combats sans merci qui se jouent entre les cellules, au point de nous faire éprouver un pincement au cœur à l'évocation du «chant de mort» qui déclenchera le suicide d'une cellule, et ses «rites funéraires» (cannibaliques: elle sert de nutriment à ses compagnes), phénomène assez rare dans les publications scientifiques pour être salué, qui vous laisse l'impression d'une expérience que nous aurions personnellement vécue.
LA MORT AU CŒUR DU VIVANT
C’est lorsque l’usage du microscope commença à se répandre, il y a environ cent cinquante ans, que s’imposa la théorie selon laquelle tous les corps vivants étaient composés de cellules et l’idée que chaque cellule ne pouvait avoir pour origine qu’une autre cellule. Dès cette période furent observés des phénomènes de mort cellulaire au cours du développement de l’embryon qui apparurent comme une aberration, un défi contraire à toute tentative de représentation rationnelle des modalités de construction d'un corps, le modèle du développement embryonnaire apparaissant jusqu'alors comme un phénomène de pure expansion. Considérés comme déroutants et inexplicables, voire anecdotiques, ces phénomènes furent décrits puis oubliés, de manière itérative. Près de cent ans plus tard, en 1966, l'embryologiste John Saunders reprit cette thèse dans une synthèse de ses travaux. Réinterrogeant l'incongruité apparente de cette dilapidation dans la mort cellulaire, des ressources d'énergie et d'informations laborieusement acquises à partir d'un état initial moins ordonné, il apparut à la lumière de nombreuses expériences que les épisodes massifs de mort cellulaire étaient universels et survenaient dans tous les embryons de toutes les espèces vivantes. L'idée paradoxale que la mort cellulaire pouvait être une composante à part entière du développement commença à faire son chemin. De nombreuses questions allaient s'ensuivre quant à sa raison d'être, son rôle, sa fonction, sa cause et la nature des mécanismes qui la déclenchent. Le concept de mort cellulaire programmée apparut pour la première fois en 1963 dans la thèse d'un biologiste de l'université de Harvard décrivant la métamorphose du ver à soie. Mais la notion de programme en biologie ― étymologiquement signifiant pré-écrit ― se révéla être une notion ambiguë, favorisant implicitement une confusion entre la nature des informations contenues (pré-inscrites) dans nos gènes et l'ensemble des interactions qui déterminent la manière dont nos cellules consultent et utilisent ces informations. «C'est un programme qui a besoin [des produits] de sa lecture et de son exécution [...] pour pouvoir être lu et exécuté» comme l'avait souligné Henri Atlan à la fin des années 1970. Ainsi à la faveur de nombreuses observations et d'expériences menées sur des organismes multicellulaires (métamorphoses de la chenille en papillon, ou la trans formation du têtard en grenouille par exemple) s'imposa l'idée que ce qui est programmé au cours du développement n'est pas la prédétermination du destin individuel de chaque cellule, mais la propension d'une population cellulaire à mourir à un endroit et un moment précis, en réponse à un signal donné. Restaient à identifier la nature et les mécanismes selon lesquels ce signal s'exprime et se transmet, et les conditions complexes du passage du déclenchement de la sentence à son exécution. Après la mise en question de la notion de programme en biologie, évoluant vers une notion d'auto-reprogrammation continue, la notion de «suicide» cellulaire se trouva elle aussi interrogée, impliquant de manière illusoire l'idée d'une décision, d'un « choix » qu'aurait la cellule de vivre ou de mourir, comme la disposition d'un degré de liberté. Mais il allait apparaître que dans le modèle multicellulaire choisi pour sa simplicité génétique et celle de la démonstration expérimentale, comme dans tous les autres organismes multicellulaires à des degrés divers de complexité, le phénomène se révélait universel et que le mécanisme déclencheur de la mort cellulaire était lié à l'émission de signaux interactifs, dans le modèle élémentaire, de trois protéines issues de trois gènes, dont l'une avait une fonction d'exécuteur ne pouvant agir seul, la deuxième de protecteur réprimant le suicide, la troisième d'activateur de l'exécuteur. Apparaissait aussi un univers vertigineux où le déclenchement ou la répression du «suicide» cellulaire étaient totalement subordonnés aux interactions intervenant entre des populations entières de cellules, elles- mêmes complètement dépendantes de la collectivité cellulaire, capables d'échanger des signaux issus de dédoublements en dédoublements, depuis la nuit des temps, de copies de gènes imperceptiblement différents les uns des autres et capables de produire des protéines exerçant des effets synergiques ou antagonistes les unes sur les autres, avec une richesse combinatoire quasi infinie. Plus passionnant et plus intrigant encore que le problème de l'origine de la vie, se posa alors celui de l'origine de la mort, mobilisant nombre de chercheurs biologistes, en raison des perspectives thérapeutiques qu'ouvrirait la compréhension du mécanisme de son apparition, et évidemment de son contrôle. De nombreuses hypothèses auront été passées en revue : celle de la «nécessité» de la mort, de son utilité, de son «rôle» ou sa «fonction», pour aboutir en dernière analyse à la conviction que ce sont, là encore, des notions illusoires. Illusion encore que la notion de fonction en biologie, suggérant un but, un finalisme, hypothèses prêtant une intentionnalité et un sens à la matière là où il n'y en a pas, et ne renseignant en rien sur la question de son origine. Seul un changement de perspective pouvait permettre d'identifier la nature de cette caractéristique biologique en tentant d'en localiser l'apparition. Nous voilà dès lors embarqués avec l'auteur pour un saut dans le temps de quelque quatre milliards d'années à la recherche du miroir où se refléterait la première apparition du visage de la mort cellulaire, et plus vertigineuse encore, à la rencontre du visage de la Mort tout court. Longtemps ce voyage s'était interrompu à un milliard d'années, non par une limitation technique mais en raison du moment approximatif de l'apparition des premiers organismes multicellulaires, et butait sur une idée «logique» devenue un dogme : la mort cellulaire ne pouvait pas avoir été antérieure, pour une raison paraissant aller de soi. Si les organismes unicellulaires s'étaient autodétruits ainsi que toute leur descendance, la complexité des multicellulaires n'aurait pu s'organiser et ils n'auraient jamais existé. Or il n'en était rien. Comme l'expérience et 'observation des séparations des levures unicellulaires en bourgeons mères-filles dissymétriques qui n'avaient encore été ni pensées ni envisagées le montrèrent, les unicellulaires mouraient et l'illusion de l'éternelle jeunesse et fécondité , des organismes unicellulaires censés se dédoubler et vivre à l'infini s'effondra. Il en découla l'idée que la mort cellulaire, détectable et présente simultanément dès l'apparition des premières formes élémentaires de la vie, devait en constituer un élément contingent à part entière, indissociable organisateur et sculpteur de toutes les formes d'incarnation possibles que celle-ci pourrait prendre, des corps unicellulaires aux organismes les plus complexes, depuis les embryons jusqu'aux individus adultes. La mort à la fois créatrice et gardienne de la vie...
MÉMOIRE ET IDENTITÉ
C'est l'étude de la manière dont se construisent les deux systèmes les plus complexes de notre corps, le cerveau et le système immunitaire, qui devait révéler la nature étrange des programmes de mort cellulaire, et la puissance que leur confère le contrôle des signaux qu'échangent nos cellules. Dans ces deux organes ayant en apparence peu de choses en commun (J.-C. Ameisen parle du système immunitaire en terme d'organe), la mort cellulaire apparaît comme un processus d'apprentissage et d'auto organisation dont l'aboutissement ne se limite pas à la construction d'une architecture ni à la sculpture d'une forme, mais à l'élaboration des supports de la mémoire et de l'identité du soi (immunitaire). À des niveaux de complexité différents, le cerveau et le système immunitaire possèdent pourtant en commun la propriété d'«assurer la pérennité de notre identité singulière [...] en construisant en nous une mémoire qui transformera la suite innombrable des événements aléatoires que nous vivons, en une histoire, notre histoire, nous permettant de déchiffrer le présent et de nous projeter dans l'avenir à la lumière d'un passé sans cesse recomposé». Les questions soulevées par la mémoire et la reconnaissance du soi et du non-soi ont pu suggérer implicitement une forme de «re-connaissance» d'un univers extérieur pourtant jamais rencontré auparavant, lorsqu'il y sera confronté pour la première fois par l'intermédiaire des cellules sentinelles, sorte de pré-science paradoxale du système immunitaire. La notion d'une mémoire de ce qui n'a jamais existé relève, elle aussi, d'une pure illusion. L'apprentissage subi par le système immunitaire pendant le développement embryonnaire et au-delà ayant engendré et inscrit une mémoire du soi, l'empreinte qui constitue notre signature individuelle, l'identité immunitaire de chacun d'entre nous, son «bruit de fond» que J.-C. Ameisen compare à une ligne mélodique du soi, est unique. A l'intérieur de cette ligne mélodique, ce sont les «fausses notes», les intrus non identifiables qui mettent le système en alerte et déclenchent la guerre.
Passant de l'embryon à l'adulte, l'auteur nous amène vers une nouvelle vision de la complexité, dans laquelle est mis à mal le sentiment de l'immuabilité de notre corps, lui aussi illusoire. Chacun de nous est un fleuve tumultueux où la succession effrénée des destructions et réorganisations régulatrices restent discrètes, inapparentes, ne causant aucune lésion. C'est la métaphore de la Reine Rouge d'Alice au Pays des mer veilles, un monde dans lequel il faut courir comme des fous et de toutes ses forces pour pouvoir seulement rester à la même place : assurer la continuité et rester présent. Là aussi et tout au long du livre, vie et mort s'enroulent, emmêlées, comme deux bras d'un même fleuve.
L'ENVIRONNEMENT ET L'ÉVOLUTION DU VIVANT
L'influence exercée par les modifications de l'environnement ajoute un degré supplémentaire de complexité aux modalités de construction des corps et à l'apparition de la nouveauté. La théorie des «équilibres ponc tués» reprise dans les années 1970 par Stephen Jay Gould postule que la survenue de changements brusques de l'environnement peut favoriser par hasard la pérennité et la propagation d'individus minoritaires chez les quels ont surgi des modifications génétiques importantes. L'explosion apparemment brutale de multiples variantes de construction de corps nouveaux et d'espèces nouvelles comme le suggère l'étude des fossiles d'il y a environ cinq cents millions d'années est un des éléments qui étaye cette théorie. Le débat de fond entre les théories gradualiste et ponctua liste ne concerne pas la manière dont l'environnement sculpte la nouveauté (tous sont d'accord sur son principe), mais porte sur la nature des modifications sur lesquelles il exerce ses effets: accumulation progressive de mutations minimes dont aucune à elle seule ne peut avoir de conséquences majeures, ou survenue soudaine de modifications génétiques dont les conséquences immédiates peuvent être majeures. L'environnement est plus qu'un simple filtre à travers lequel seraient sélectionnés ou éliminés les individus et les espèces. C'est à la fin de l'année 1998 que deux biologistes de l'université de Chicago, Suzanne Rutherford et Susan Lindquist, révélèrent que les modifications soudaines de l'environnement pouvaient avoir des conséquences spectaculaires jusque-là insoupçonnées, à l'issue d'expériences aux implications stupéfiantes sur les drosophiles. Elles ont montré que lorsque leurs embryons sont exposés à des variations brutales de température (une dizaine de degrés en plus ou en moins), des chocs thermiques, les nouveau-nés présentent des modifications importantes de toute une série d'organes : antennes, ailes, yeux, pattes surnuméraires ou absents, ou de couleur inhabituelle. Or l'apparition de ces nouveautés s'est révélée ne pas être liée à des mutations génétiques provoquées par l'environnement extérieur, mais à la révélation d'une diversité génétique préexistante, jusque-là réprimée en permanence. Que nous apprennent de telles expériences ? Que la forme et donc le devenir des protéines ne sont ni préécrits ni prédéterminés mais qu'ils dépendent de la présence d'autres protéines résistant ou non aux variations de l'environnement. Les modifications brutales de l'environnement ont le pouvoir de révéler dans le soma, des potentialités préexistantes de nouveauté, potentialités jusque-là réprimées ou, pourrait-on dire... latentes? qui peuvent soudain à cette occasion et pour la première fois se manifester. La tentation est grande d'effectuer un rapprochement entre ces découvertes et les observations de la clinique psychosomatique... Et de souligner que pour l'être humain doué d'une vie psychique et d'affects, l'environnement dans son sens le plus extensif, incluant l'espace interne, c'est son histoire... Les «chocs» psychiques déclencheurs de «nouveauté», révélateurs de potentialités jusque-là réprimées ou latentes, ne sont pas sans évoquer aussi bien les stades précliniques de certaines affections, que la notion des deuils non élaborés et des désorganisations progressives, comme derniers oncogènes.
AVANT DE COMMENCER
C'est sous ce titre que dans la dernière partie de l'ouvrage de J.C. Ameisen dessine des perspectives et aborde une réflexion sur le vieillissement cellulaire, les maladies neuro-dégénératives, les cancers, la longévité maximale et la «mort avant l'heure», envisagés sous un angle nouveau. Là encore, les expériences de laboratoire, les observations et réflexions des chercheurs ont abouti à une remise en cause d'un certain nombre de dogmes. Certaines grandes théories du vieillissement se sont longtemps référées à un principe général de la science: l'augmentation d'entropie. Phénomènes comparables à l'érosion des falaises par le vent, le vieillissement et la mort résulteraient par usure, des agressions de l'environnement. Mais les nouvelles frontières de la biologie ont permis de mettre en évidence le caractère autodestructeur du système du fait de l'activité elle-même des cellules, dédoublements cellulaires avec fautes de copies cumulées qui ne peuvent plus être corrigées, production de toxines liées à l'oxygénation de la respiration cellulaire, altérations mineures et aléatoires des gènes codant pour les protéines déclenchant les signaux de répression ou d'activation de «l'apoptose» ― ainsi nommée par analogie avec la chute programmée des feuilles à l'automne-, et maints autres mécanismes complexes. Il montre, à propos des maladies neuro-dégénératives, maladie d'Alzheimer et de Parkinson, et du développement des cancers, qui à première vue n'ont rien de commun, qu'elles sont néanmoins engendrées (schématiquement) par les anomalies du contrôle de la mort cellulaire programmée. Les premières par des altérations minimes de la partie des gènes codant les signaux réprimant le suicide cellulaire, ayant pour conséquence la destruction de régions entières de populations neuronales. Les secondes, les tumeurs cancéreuses, en raison des anomalies des signaux activateurs ou exécuteurs du suicide cellulaire, ce qui les livre à un dédoublement infini et incontrôlable. Parallèlement aux perspectives prometteuses ouvertes par la connaissance progressive de ces mécanismes de vie et de mort programmée, de thérapies géniques susceptibles dans un avenir proche d'en contrôler les signaux, le dogme d'un cerveau condamné à vieillir s'est trouvé lui aussi ébranlé par la découverte dans des conditions expérimentales laissant peu de place au doute, de la présence de cellules souches dans le cerveau humain adulte, capables de donner naissance à de nouveaux neurones. A la fin de l'année 1998 a été mise en évidence l'existence chez des hommes adultes dans certaines régions du cerveau, d'épisodes peu fréquents mais réguliers de naissance de neurones, dont l'auteur ne croit pas qu'ils soient des exceptions, ce dont pourrait paradoxalement témoigner l'altération de la mémoire immédiate dans la maladie d'Alzheimer, les neurones nouveau-nés, vierges, ne possédant pas les instructions leur permettant d'inscrire les événements récents. Ainsi est apparue la notion de plasticité du cerveau, et d'une possible réparation neuronale repoussant les frontières « naturelles » de sa conservation, de sa longévité et de notre mort... «après l'heure».
Loin du piège des métaphores analogiques trompeuses, on ne peut manquer d'être impressionné par la validation que les nouvelles techniques d'imagerie du cerveau en activité ne cessent d'apporter aux incroyables intuitions de la métapsychologie freudienne. Grâce aux explorations par caméra à positons, les plus récents travaux des neuro biologistes ont montré lors de l'exécution d'un mouvement sur com mande que les mêmes réseaux neuronaux des régions motrices concernées se trouvaient activés avec une intensité presque égale quand est donnée au sujet une consigne d'immobilité et de substituer à l'acte sa représentation. Ainsi, la cartographie de leur traduction somatique objective sans l'ombre d'un doute le caractère créateur des représentations aussi bien que de la satisfaction hallucinatoire du désir, non seulement (de notre point de vue) dans la constitution et l'organisation de la vie psychique mais, selon une forte probabilité, également dans la sculpture de la plasticité neuronale et le fonctionnement cérébral dans son ensemble. Sous-stimulés, vides de représentations, privés de l'information des influx nerveux ayant valeur de signaux de survie, les réseaux neuronaux concernés seraient voués à une forme d'«agénésie», de dépérissement par défaut, ou appelés à disparaître.
CONTINUER LE VOYAGE
Dans les strictes limites d'une note de lecture, on ne peut qu'évoquer de façon partielle et superficielle l'apport incomparable de ce nouveau Livre de la genèse et de la saga du vivant. Les horizons vertigineux et presque illimités que nous dévoile l'auteur ne peuvent qu'exciter davantage encore la curiosité du lecteur et stimuler la réflexion de tous ceux que passionnent les mystères des (im)pulsions de vie et de mort et le(s) destin(s) du soma, et de tous ceux aussi qui, sans pour autant aspirer à l'immortalité, n'en espèrent pas moins vivre « jeunes » en leur état optimal de fonctionnement jusqu'au bout de leur voyage dans le temps.
Hélène Goutal-Valière
1 janvier 2003