Actualités
Actualités
Le Monde, Planète : article interactif
Les défricheurs
Inventeurs, penseurs, chercheurs, ils explorent de nouvelles pistes, qui convergent vers un but commun : vivre mieux demain sans hypothéquer les chances des futures générations d'en faire autant.
Jean Claude Ameisen, la science au service des plus vulnérables.
Il s'enthousiasme des progrès de la science, mais sait aussi s'en méfier : "Parce qu'elle tente d'expliquer le monde de l'extérieur, la science peut être facteur de déshumanisation." Les yeux, très bleus, brillent d'intelligence, la parole coule de source. Jean Claude Ameisen, 57 ans, est intarissable sur ce qui le passionne, et peu de choses ne le passionnent pas.
Médecin, chercheur, professeur d'immunologie à l'université Paris-Diderot, il est aussi président du comité d'éthique de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et membre du Comité consultatif national d'éthique. Cela suffirait à beaucoup. Lui a trouvé le temps, à la rentrée, de publier deux livres. Conduits par la même écriture, poétique, libre et émotive.
Le premier, Dans la lumière et les ombres (Fayard/Seuil, 500 p., 23€), revisite la genèse de l'œuvre de Darwin. Le second, Les Couleurs de l'oubli (Les Éditions de l'Atelier, 128 p., 24,90€), nous entraîne radicalement ailleurs. Cosigné par François Arnold, artiste plasticien animant, à l'âge de 80 ans, un atelier dans un hôpital gériatrique de la région parisienne, il donne à voir les peintures de personnes très âgées, la plupart atteintes de la maladie d'Alzheimer. Une aventure artistique et humaine qui a bouleversé cet ancien pneumologue, lui confirmant que même au seuil de la mort et de la perte de mémoire, " le pari sur la personne fait apparaître la personne".
"De même que les dessins d'enfants témoignent de leur créativité, leurs tableaux prouvent que ces vieillards profondément handicapés ont une vie intérieure très riche. Publier leurs œuvres, c'est permettre à ceux qui les fréquentent de retrouver le chemin de l'empathie", affirme M. Ameisen. Aider les personnes vulnérables, ne pas confondre "le don avec l'investissement" : pour cet homme de conscience plus encore que de science, c'est là un fil d'Ariane. Un fil que la société française oublie trop souvent de suivre - elle qui "abandonne ses SDF, enferme ses malades mentaux, scolarise mal ses handicapés et isole ses personnes âgées à la périphérie des grandes villes" -, alors qu'il devrait, au contraire, guider toute notre morale collective.
Tests génétiques, assistance médicale à la procréation, gestation pour autrui, anonymat du don d'organes ou de gamètes : en vue de la révision des lois françaises de la bioéthique, ces thèmes feront l'objet, en 2009, d'états généraux ouverts aux citoyens. Comment mener au mieux ce débat essentiel ? "Si on parvient à poser comme prioritaire le respect non pas seulement de la personne, mais avant tout de la personne la plus vulnérable, et si l'on se demande systématiquement comment mettre à son service les avancées de la science et de la médecine, on aura déjà bien travaillé", estime Jean Claude Ameisen.
Un dernier vœu : que ces états généraux, au cours desquels la législation française sera longuement comparée à celle des autres pays du monde, soient "ouverts à des intervenants internationaux".
Catherine Vincent
23 décembre 2008