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Le Monde, Planète : article interactif
Darwin, l'héritage
Immunologie
Jean-Claude Ameisen
Université Paris-Diderot, faculté de médecine Xavier-Bichat
"C'est au cours de mes recherches sur le "suicide cellulaire" que j'ai réellement découvert la richesse de la pensée de Darwin. Comment se faisait-il que nos cellules possédaient la capacité de s'autodétruire? Darwin attribuait un rôle essentiel dans l'évolution à la destruction et aux "guerres de la nature", mais ne disait rien de la mort qui surgit de l'intérieur. J'ai regardé "à travers ses yeux" par-delà ce qu'il avait pu explorer, lui qui ne savait presque rien de l'univers des cellules. J'ai pensé que, dès l'origine, la capacité de s'autodétruire avait pu être l'une des conséquences inéluctables du pouvoir d'auto-organisation qui caractérise la vie. J'ai découvert que la "mort programmée" existait dans des organismes unicellulaires d'origine très ancienne. Et j'ai proposé l'idée qu'il n'y a pas de "gènes de mort", mais qu'une intrication ancestrale entre les mécanismes qui déterminent la vie et la mort, au cœur de chaque cellule, a joué un rôle essentiel dans l'évolution et la complexité du vivant."
Ecophysiologie
Yvon Le Maho
Ecophysiologiste, directeur de recherche au CNRS
"Chaque espèce est une innovation, et plus encore celles qui doivent faire face à des contraintes environnementales extrêmes. Ainsi, le manchot royal. A l'île de la Possession (archipel de Crozet), nous avons découvert que le mâle, lorsqu'il revient de la mer pour assurer les dernières semaines de l'incubation de l'œuf, rapporte dans son estomac de la nourriture non digérée. En la régurgitant au poussin, il assure sa survie pendant une dizaine de jours au cas où la femelle, retardée par des aléas climatiques, ne revienne pas à temps pour l'éclosion. Mais comment peut-il garder intacte si longtemps de la nourriture dans son estomac, pourtant à 37 °C ? En fait, celui-ci contient une petite protéine antibiotique et antifongique, qui s'est révélée très efficace contre des bactéries et des champignons pathogènes pour l'homme. C'est ainsi qu'un mécanisme adaptatif sophistiqué, apparu au cours de l'évolution, pourrait avoir des retombées agroalimentaires et biomédicales…"
Génétique
Pierre Tambourin
Directeur général de Génopole
"Quoi de commun entre un dangereux petit poisson nommé fugu, l'acide désoxyribonucléique (ADN) et Darwin? Celui-ci, par son œuvre, posait une question centrale : quel système d'informations, présent dans chacune de nos cellules, permet de comprendre l'évolution des espèces et la transmission héréditaire de ces caractères évolutifs d'une génération à l'autre? Un siècle et demi plus tard, on connaît le rôle-clé de l'ADN. Et l'on doit à Jean Weissenbach (Génopole d'Evry), médaille d'or du CNRS 2008, d'avoir étudié le génome du fugu pour en apprendre plus sur l'homme. Chez cette espèce, le génome est deux fois plus petit que le nôtre. En les comparant, Jean Weissenbach et son équipe ont pu préciser que celui de l'homme comprend nettement moins de 30000gènes, très, très en deçà de ce que prévoyaient les scientifiques compte tenu de sa taille. Ce qui démontre qu'entre les évolutions du génotype et celles du phénotype il peut y avoir de sérieuses discordances... dont l'origine reste un mystère !"
Neurobiologie
Catherine Vidal
Neurobiologiste, directrice de recherche à l'Institut Pasteur
"Des calamars, des limaces, des blattes, des langoustes et des poissons : tous ces animaux ont en commun de posséder des neurones géants, gros parfois d'un millimètre de diamètre. Il est donc plus facile de placer des électrodes dans ces neurones que dans ceux des rats, des souris et des primates, dont la taille n'excède pas quelques centièmes de millimètres. Grâce à eux, on a découvert une chose extraordinaire : les mécanismes élémentaires de transmission de l'influx nerveux sont communs à toutes les espèces animales, que celles-ci possèdent un système nerveux rudimentaire ou qu'elles soient dotées, comme l'homme, d'un cerveau très complexe contenant des milliards de neurones. Un mécanisme de sélection très puissant s'est ainsi exercé au cours de l'évolution qui a privilégié la cellule neuronale, dont les propriétés ont ensuite été exploitées par de très nombreuses espèces. Avec leurs capacités uniques de communication, les neurones sont un succès évolutif !"
Biologie moléculaire
Jean-Jacques Kupiec
École normale supérieure
"Le paradoxe, c'est qu'on peut aujourd'hui faire des études de biologie sans être directement confronté à l'œuvre originale de Darwin. Pour ma part, je l'ai lu à la fin de mon cursus, et ça a constitué un bouleversement intellectuel. Je m'intéressais à la différenciation des cellules. Élaborant un nouveau modèle, j'ai constaté qu'il faisait aussi appel au hasard, soumis à des contraintes sélectives : les cellules fonctionnent de manière aléatoire et sont sélectionnées par leur micro-environnement.
Darwin écrit que la notion d'espèce dépend du classificateur : cet aspect-là est aussi révolutionnaire. Car si on remet en cause l'objectivité de l'espèce, cela vaut aussi pour l'homme. Cela reste un point aveugle de la biologie, qui a bien du mal à abandonner une forme de déterminisme - celui du "programme génétique". Elle résiste à l'idée, jugée antihumaniste, que l'organisme est le résultat aléatoire d'un processus sans finalité."
Linguistique
Mahé Ben Hamed
Phylogénéticienne, CNRS - université de Lyon-II
"Les méthodes développées par la biologie évolutive dans la continuité des théories darwiniennes sont d'un très grand apport pour la linguistique historique, qui cherche à retracer l'évolution des langues. Darwin lui-même avait noté un curieux parallèle entre les processus de formation des espèces et des langues. Le principe de descendance avec modification s'illustre par les mots qui, du bas latin à l'ancien français par exemple, présentent une filiation sans être conservés à l'identique. De même, l'influence de facteurs sociaux sur le lexique ou la prononciation présente une similitude avec la sélection naturelle de caractères biologiques par l'environnement. Les emprunts lexicaux entre idiomes sont également comparables aux échanges de matériel génétique entre espèces chez les plantes ou les bactéries. Ces analogies ont conduit à l'utilisation des méthodes de la biologie évolutive pour reconstituer l'histoire des langues avec un arbre ou un réseau phylogénétique, comme on le fait pour les espèces vivantes."
Robotique
Jean-Arcady Meyer
Institut des systèmes intelligents et de robotique, Paris-VI - CNRS
"Depuis les années 1990, une branche de la robotique, dite évolutionniste, s'inspire du vivant pour faire émerger des machines mieux à même de s'adapter dans un environnement non standardisé. On peut ainsi faire évoluer des algorithmes, sur plusieurs générations, pour aboutir à des comportements simples - apprendre à se diriger vers une lumière, par exemple. Aujourd'hui, cependant, la discipline est en phase de stagnation : les comportements plus complexes sont encore hors de portée. Aussi explore-t-on d'autres pistes, comme la sélection sexuée, ou de groupe - ou encore la coopération, plutôt que la compétition. On essaie de faire évoluer de petits modules : ne pas viser directement la montre, mais trouver d'abord ses rouages. La sélection naturelle n'est pas une fausse piste, elle reste une source d'inspiration fondamentale. Simplement, il est difficile d'en savoir suffisamment sur les systèmes biologiques pour en importer les principes de fonctionnement dans des systèmes artificiels."
Propos recueillis par Pierre Le Hir, Hervé Morin et Catherine Vincent
17 novembre 2009